Lutte contre la fraude au CPF - proposition de loi adoptée par le parlement

Publié le 09 décembre 2022


Le Parlement a définitivement adopté la proposition de loi visant à lutter contre les fraudes au CPF après un ultime vote du Sénat, le 8 décembre 2022. Devant être rapidement mis en application, le texte prévoit notamment l’interdiction du démarchage, une procédure de vérification des organismes de formation qui demandent à être enregistrés sur Mon Compte Formation ou encore le contrôle des sous-traitants. Carole Grandjean a positionné ces mesures dans la logique de régulation financière du CPF dont le coût s’envole, et confirmé qu’elles seront complétées pour "mieux cibler" son utilisation.


Les sénateurs ont adopté, jeudi 8 décembre 2022, la proposition de loi "visant à lutter contre la fraude au CPF et à interdire le démarchage de ses titulaires". Une adoption conforme au texte issu de l’Assemblée nationale qui clôt le débat parlementaire et ouvre la voie à sa mise en œuvre dès qu’elle aura été promulguée.

Lors des débats, un consensus est apparu entre tous les groupes politiques et la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnel, Carole Grandjean, sur la nécessité d’une adoption rapide du texte pour permettre de poursuivre les actions contre les fraudes au CPF déjà engagées par la CDC. De fait, même si des critiques ont été exprimées sur la monétisation du CPF en 2018 et le projet d’instaurer un reste à charge aux utilisateurs du compte, l’examen de la proposition de loi a été rapide. Seuls deux amendements ont été déposés et rapidement écartés. Ils visaient à un élargissement de l’interdiction du démarchage non consenti à tous les domaines et ont été considérés comme hors du champ de la PPL à la fois par la ministre et par le rapporteur du texte, Martin Lévrier (RDPI, Yvelines).



MIEUX CIBLER LE CPF

Le "succès massif du CPF a ouvert la porte à des pratiques commerciales agressives voire abusives", a rappelé Carole Grandjean devant les sénateurs. Des arnaques qui "véhiculaient bien souvent des informations erronées sur les droits de l’individu et sur l’objectif réel poursuivi par l’organisme" de formation. Au total, "le préjudice financier lié aux pratiques abusives et frauduleuses est évalué 43 millions d’euros en 2021, une somme qui a été multipliée par cinq en un an". Cette tendance "nuit aux finances, à la confiance et à l’image de l’outil et appelle une réponse ferme", a souligné la ministre.

Elle a rappelé à cette occasion les différentes actions déjà mises en œuvre pour réguler le CPF et limiter un certain nombre de dérives : renouvellement du RS (Répertoire spécifique), mise en œuvre de Qualiopi, renforcement des contrôles ou encore, renforcement de la sécurité sur la plateforme Mon Compte Formation avec la mise en place de l’identification via France Connect+, le 25 octobre 2022 (lire sur AEF info).

"Aujourd’hui, plus personne ne peut dire que le CPF rime avec formations de loisir. Nous nous sommes donné les moyens de proposer un catalogue de formations utiles pour l’emploi, la professionnalisation et la montée en compétences des actifs du pays", a estimé Carole Grandjean. La ministre a confirmé par ailleurs que le gouvernement va engager "cette action de régulation du CPF, en faisant en sorte qu’il soit mieux ciblé vers les besoins réels de l’économie, c’est-à-dire vers les métiers en tension autant que les métiers d’avenir".



CALENDRIER DE MISE EN ŒUVRE

La majeure partie des dispositions prévues par ce texte législatif seront effectives dès la promulgation de la loi. La procédure de référencement a même déjà commencé à se mettre en place, mais la promulgation du texte permettra à la CDC d’aller plus loin dans la démarche en lui donnant une assise législative, ainsi que Michel Yahiel, le directeur des politiques sociales de la Caisse des Dépôts, l’avait indiqué à AEF info au début du mois de novembre (lire sur AEF info).

La seule disposition qui se mettra en place à moyen terme concerne l’encadrement de la sous-traitance. Un décret doit en effet être pris pour détailler ses conditions de mise en œuvre et il devrait intervenir dans le courant du premier trimestre 2023.

Trois décrets en Conseil d’État sont prévus par la proposition de loi visant à lutter contre les fraudes et le démarchage excessif au CPF. Ils concernent :

  •  les modalités de remboursement des sommes indues ;
  •  le partage d’information entre la CDC et les différents acteurs publics concernés par la lutte contre la fraude (DGCCRF…) et le contrôle des organismes de formation (Dreets, sécurité sociale…) ;
  •  le contrôle des sous-traitants.


DÉTAIL DE LA PROPOSITION DE LOI

Voici le détail des dispositions prévues par la proposition de loi "visant à lutter contre la fraude au CPF et à interdire le démarchage de ses titulaires" :

Interdiction du démarchage non sollicité. La "prospection commerciale" par téléphone, SMS, courriel ou sur les réseaux sociaux visant à collecter les données à caractère personnel des titulaires d’un CPF ou "à conclure des contrats portant sur des actions de formation" est interdite, sauf si la sollicitation intervient "dans le cadre d’une action de formation en cours et présentant un lien direct avec [son] objet". Cette interdiction est introduite à la fois dans le code de la consommation et dans le code du travail.

Par ailleurs, les agents de la DGCCRF sont habilités à rechercher et à constater les éventuelles infractions de manière à contrôler le respect de ces interdictions.

Sanctions financières. "Tout manquement" à l’interdiction de la prospection commerciale des titulaires d’un CPF sera passible d’une "amende administrative dont le montant ne pourra excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale". Une disposition introduite

dans le code du travail (nouvel article L.6323-8-1) et qui rend ces sanctions applicables aux cas de démarchage téléphonique, mais aussi au démarchage par SMS et par courriel.

Référencement sur Mon Compte Formation. La principale mesure pour les prestataires de formation concerne les conditions de référencement des organismes de formation sur la plateforme MCF (Mon Compte Formation). Les organismes de formation désirant s’inscrire sur la plate-forme du compte personnel de formation vont avoir l’obligation d’adresser une demande de référencement à la Caisse des dépôts qui gère MCF. Les conditions à respecter pour être référencé sur la plateforme vont plus loin que les CGU (conditions générales d’utilisation) de MCF, qui doivent par ailleurs toujours être respectées.

Conditions à respecter

Pour être référencés sur MCF, les organismes de formation devront respecter leurs obligations légales, fiscales et sociales. Il est à noter que le respect de ces deux dernières obligations est similaire à celle présente dans le code de la commande publique (article L.2141-2) et qui "vise à réserver le versement des fonds publics à des organismes vertueux", selon l’explication donnée par le ministère du Travail lors des débats à l’Assemblée nationale.

Dans le détail, les prestataires de développement des compétences (organismes de formation, prestataires de VAE ou de bilan de compétences) souhaitant être référencés sur Mon Compte Formation, devront respecter cinq conditions :

  •  "être enregistrés […] et justifier des obligations fixées à toute personne qui réalise des actions" de développement des compétences ;
  •  "satisfaire aux conditions d’exercice dans le cadre du service dématérialisé, notamment celles liées à l’éligibilité des actions […], à la détention des autorisations et certifications nécessaires […], ainsi que des habilitations délivrées par les ministères et organismes certificateurs" ;
  •  "respecter les prescriptions de la législation fiscale et de sécurité sociale notamment pour le recouvrement d’impôts, taxes, cotisations et contributions sociales" ;
  •  "avoir produit toutes les pièces justificatives requises" ;
  •  "satisfaire aux conditions prévues par les conditions générales d’utilisation" de MCF.

Sanctions

Le pendant de la mise en place de cette procédure de référencement des prestataires sur Mon Compte Formation est que la CDC pourra "refuser de référencer les prestataires qui, au cours des deux années précédentes, ont fait l’objet d’une sanction du fait d’un manquement à leurs obligations contractuelles prévues par les CGU". De même, elle pourra procéder au "déréférencement" des prestataires ne remplissant plus l’ensemble des conditions requises. Une possibilité de déréférencement qui pourra également s’appliquer aux prestataires déjà inscrits sur MCF.

Il est également prévu que la CDC puisse mettre en place des "échanges automatisés" avec "les organismes de sécurité sociale chargés du recouvrement et l’administration fiscale" pour vérifier le respect des obligations fiscales et sociales des prestataires inscrits ou candidats à l’inscription sur MCF. Un décret en Conseil d’État viendra préciser l’ensemble des modalités de mise en œuvre de ces différentes mesures.

Contrôle de la sous-traitance. Dans le prolongement de l’instauration de critères de référencement sur MCF, l’encadrement du recours à la sous-traitance a été introduit par le gouvernement au cours des discussions, Carole Grandjean ayant pris soin de préciser d’entrée que l’objectif n’est "pas d’interdire la sous-traitance ni d’entraver la liberté de commerce". Elle a rappelé devant les sénateurs que le contrôle de la sous-traitance était devenu indispensable car "certains organismes de formation, pourtant référencés sur la plateforme, proposent seulement ce que l’on appelle 'un portage Qualiopi'". Cette pratique "n’est plus admissible et doit être régulée" dans la mesure où la CDC "ne peut ni identifier ni contrôler les sous-traitants. [Un] angle mort [qui] est un nid à fraudes potentiel."

De fait, lorsque cette disposition sera applicable, les sous-traitants auront l’obligation de respecter les mêmes conditions que leur donneur d’ordre afin d’être référencés sur la plateforme Mon Compte Formation. "En cas de manquement du sous-traitant, le donneur d’ordre pourra être déréférencé", a précisé le ministère du Travail lors des débats.

Pour rassurer les acteurs du marché de la formation, inquiets de voir un dispositif trop encadré par la loi, un décret viendra préciser les conditions de mise en œuvre de ce contrôle de la sous-traitance dans le cadre de Mon Compte Formation.

Renforcement des moyens d’action de la CDC. La Caisse des dépôts et consignations, France compétences, les services de l’État compétents (DGCCRF et Dreets), les organismes financeurs, les organismes délivrant la certification Qualiopi et les ministères et organismes délivrant des certifications professionnelles vont pouvoir échanger "tous documents et informations détenus ou recueillis dans le cadre de leurs missions respectives et utiles à leur accomplissement". Sont concernées toutes les informations "utiles à la prévention et à la détection des fraudes, à la réalisation des contrôles et aux sanctions à prendre en cas de manquement des titulaires de compte et des prestataires d’actions concourant au développement des compétences aux conditions générales d’utilisation de 'Mon compte formation'".

Selon la même logique, Tracfin, la cellule nationale de renseignement financier, est également autorisée à transmettre des informations à la Caisse des dépôts et consignations ainsi qu’à l’ASP (Agence de services et de paiement).

En outre, le secret professionnel est levé et "un droit de communication d’informations" est instauré "entre les agents de la Caisse des dépôts et consignations chargés de la lutte contre la fraude au CPF et les agents chargés de la lutte contre le travail illégal". Cette disposition doit leur permettre "d’échanger tout renseignement ou document utile à leurs missions respectives de lutte contre la fraude au CPF et de lutte contre le travail illégal", avait indiqué le ministère du Travail lors des débats.

Recouvrement des sommes indûment perçues. Pour permettre à la CDC de recouvrer plus rapidement les sommes indûment perçues, la proposition de loi confère un caractère exécutoire à ses

décisions. Concrètement, la Caisse des dépôts aura les moyens de mettre en œuvre un recouvrement forcé, comme peut déjà le faire, par exemple, Pôle emploi dans son champ de compétences. Pour cela, la CDC devra saisir la juridiction administrative afin d’obtenir ce titre exécutoire, ce qui permettra de réduire les délais actuels de recouvrement, qui dépendent aujourd’hui du délai moyen de jugement devant le tribunal administratif ("entre sept mois et deux ans et demi selon la nature et la difficulté des dossiers", selon le ministère du Travail).

Par ailleurs, dans le cas où des sommes seraient dues par le titulaire du compte personnel de formation et ne pourraient être remboursées, la CDC pourra "procéder au recouvrement de l’indu par retenue sur les droits inscrits ou faisant l’objet d’une inscription ultérieure sur le compte". En d’autres termes sur les droits déjà crédités ou futurs portés sur le compte personnel de formation de la personne concernée.