Combien coûte la formation d’un apprenti ? France compétences a fait le calcul

Publié le 21 février 2024


France compétences a publié, le 24 janvier 2024, la deuxième édition de son rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle. Consacré aux financements engagés en 2022, ce document évalue le coût unitaire d'un apprenti à 22 435 euros pour toute la durée de son contrat. "On constate une légère baisse du coût unitaire engagé entre 2021 et 2022, explique à AEF info Marc-Antoine Estrade, le directeur de l’évaluation et de l’observation de France compétences. Cette évolution s’explique en partie par une baisse notable du recours aux aides à l’embauche."

 

Pour la deuxième année consécutive, France compétences a rendu public, le 24 janvier 2024, son rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle. L’instance nationale de régulation et de financement de la formation professionnelle fait de cette nouvelle édition "un outil d’aide à la décision" (lire sur AEF info). Outil qui a notamment vocation à servir dans le champ de l’apprentissage, objet de plusieurs focus thématiques.

Comme dans la précédente version du RUF, France compétences calcule le coût unitaire d’un apprenti, c’est-à-dire l’ensemble des financements engagés, quels que soient les financeurs, pour former un apprenti pendant toute la durée de son contrat (dans le secteur privé uniquement). En 2022, ce coût s’élève à 22 435 euros, en baisse de 3 % par rapport à 2021.

UN MOINDRE RECOURS AUX AIDES À L’EMBAUCHE

"On constate une légère baisse du coût unitaire engagé entre 2021 et 2022, précise à AEF info Marc-Antoine Estrade, le directeur de l’évaluation et de l’observation de France compétences. Cette évolution s’explique en partie par une baisse notable du recours aux aides à l’embauche." Les aides versées aux entreprises représentent 43 % du coût unitaire engagé en 2022, soit 9 702 euros par apprenti, en baisse de 8 % par rapport à 2021. Elles comprennent notamment les aides exceptionnelles à l’embauche d’apprentis mises en place en réponse à la crise sanitaire liée au Covid-19.

"On n’est pas complètement au clair sur les raisons de cette baisse, relève Marc-Antoine Estrade. Entre 2021 et 2022, il n’y a pas eu de changement du barème qui était de 5 000 euros pour un apprenti mineur et de 8 000 euros pour un majeur. On a en revanche constaté qu’il y a plus d’entreprises de 250 salariés qui ont embauché des apprentis en 2022. Or comme elles ne sont pas toutes éligibles à l’aide, ce facteur peut éventuellement expliquer une partie de la baisse du recours. On sait également que toutes les entreprises ne demandent pas l’aide alors qu’elles sont éligibles."



UNE PROGRESSION LIMITÉE DES COÛTS PÉDAGOGIQUES

L’autre composante majeure du coût unitaire engagé correspond aux coûts pédagogiques. Ils s’élèvent à 9 967 euros en 2022 (soit 44 % du coût unitaire). "La progression des coûts pédagogiques est relativement limitée, à hauteur de 2 %, relève Marc-Antoine Estrade. Ces coûts représentent les engagements pris par les Opco auprès des CFA. Les niveaux de prise en charge n’ont pas évolué entre 2021 et 2022, mais la petite progression des coûts pédagogiques peut être liée au fait que les NPEC sont plus élevés dans le supérieur et que les entrées dans le supérieur ont continué à progresser sur la période."

Parmi les autres composantes, la plus forte progression concerne le reste à charge bénéficiaire, en hausse de 58 % entre 2021 et 2022. "Le reste à charge bénéficiaire a augmenté mais reste extrêmement faible, à hauteur de 70 euros, pointe Marc-Antoine Estrade. Ce reste à charge couvre la contribution des familles aux frais de repas ou d’équipement. Les frais de scolarité sont gratuits, même si certaines enquêtes font état de quelques cas de dérives."



UNE FORTE HAUSSE DU MONTANT TOTAL ENGAGÉ

En multipliant le coût unitaire engagé (22 435 euros) par le nombre d’entrées en apprentissage (811 511 entrées effectives dans le privé), France compétences établit le montant total des engagements des financeurs finaux de l’apprentissage (net des annulations) : 18,2 milliards d’euros en 2022. "Au total, malgré la petite baisse du coût unitaire engagé, le montant global engagé a fortement augmenté, de +10 % entre 2021 et 2022, en lien avec la hausse notable des entrées en apprentissage sur la période", détaille Marc-Antoine Estrade. Les Opco et l’État sont les principaux financeurs.

"En 2023, on s’attend à observer une baisse plus sensible du coût unitaire engagé du fait du changement de barème de l’aide à l’embauche qui est passée à 6 000 euros quel que soit l’âge de l’apprenti et de la stabilisation, voire de la baisse dans certains cas, des niveaux de prise en charge", anticipe Marc-Antoine Estrade.



DES CHARGES EN HAUSSE POUR LES CFA

France compétences calcule également le coût de revient d’un apprenti pour un CFA, à partir des données déclaratives des établissements. En 2022, ce montant s’élève à 7 954 euros, en hausse de 4,6 % sur un an. "Les charges des CFA progressent depuis 2020, mais leurs différentes composantes restent dans les mêmes ordres de grandeur que les années précédentes", selon le rapport. Le coût de revient est ainsi composé pour plus de la moitié de charges liées aux activités pédagogiques.



France compétences note des différences par niveau de certification et spécialité de formation. "Le coût de revient d’un apprenti augmente avec le niveau de certification : de près de 7 000 euros pour un apprenti de niveau 3 à plus de 8 700 euros pour un apprenti de niveau 7, détaille le rapport. Les coûts de revient sont aussi très différents selon la spécialité de formation. Pour certaines spécialités, ce coût élevé peut provenir de charges importantes liées aux plateaux techniques mais ce n’est pas le cas de toutes les spécialités." France compétences entend conduire des analyses plus fines pour mieux comprendre ces différences de coût de revient.


DIFFÉRENCE ENTRE COÛT UNITAIRE ENGAGÉ ET COÛT DE REVIENT

"Le rapport sur l’usage des fonds mobilise deux concepts en matière d’apprentissage", résume le directeur de l’évaluation et de l’observation de France compétences. Le premier correspond au coût unitaire engagé. "Ce concept est complet, souligne Marc-Antoine Estrade. Il intègre tous les financements, quels que soient les financeurs, publics — Opco, État — et en partie privés — contributions des entreprises directes auprès des CFA, contributions des familles. Il couvre toute la durée du contrat, soit un an et demi en moyenne, et intègre donc des sommes provisionnées par les Opco pour les contrats en cours."

Le second concept correspond au coût de revient. "Ce concept couvre l’ensemble des charges mobilisées par un CFA pour former un apprenti, détaille Marc-Antoine Estrade. Ces sommes comprennent les salaires des professeurs et des équipes administratives, ainsi que le financement des locaux et des plateaux techniques. Nous le calculons à partir des comptabilités analytiques des CFA. L’unité de temps est l’année civile."

"Ce sont deux approches relativement complémentaires, poursuit Marc-Antoine Estrade. Une vertu du concept de coût unitaire engagé est de pouvoir rendre compte d’une décision politique. Une stabilisation ou une baisse des NPEC se traduit dans le coût unitaire engagé, de même que la modification du barème de l’aide à l’embauche. Ce n’est pas nécessairement le cas de l’autre concept de coût de revient qui évolue moins en fonction de ces décisions politiques, mais est davantage lié à des décisions antérieures. L’intérêt du concept de coût de revient est de mesurer à combien revient pour un CFA de former un apprenti. Il peut être comparé avec le NPEC car il concerne la même période."


UN COÛT DE REVIENT SUPÉRIEUR AU NPEC

Dans son rapport, France compétences compare le coût moyen de revient d’un apprenti pour un CFA (7 954 euros) au niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage moyen défini par les branches professionnelles (7 186 euros). "Le niveau de prise en charge n’est pas censé couvrir l’ensemble d’un coût de revient d’un CFA puisqu’il n’a pas vocation à couvrir les investissements longs, ni les charges dites 'non incorporables’, c’est-à-dire l’impôt sur les sociétés ou les frais financiers payés par certains CFA privés ou endettés", détaille Marc-Antoine Estrade.

"La différence entre le NPEC et le coût de revient d’un apprenti donne le taux de marge, poursuit-il. Ce taux de marge au sens des NPEC s’élève à 11,5 % en 2022. Le taux de marge au sens économique, qui intègre les investissements longs et les charges non incorporables, s’élève à 10,6 %. Les deux sont proches." L’analyse de ces taux de marge avait fait l’objet d’une présentation aux administrateurs de France compétences fin 2023 (lire sur AEF info). "Le débat porte sur la définition du taux de marge qu’il faut viser dans le secteur de l’apprentissage, observe Marc-Antoine Estrade. Nous pensons qu’il faut raisonner sur le moyen terme, pas uniquement année par année. Nous n’avons pas d’éléments probants pour conclure que le taux de marge actuel est trop élevé ou trop faible."

DES TAUX DE MARGE SUPÉRIEURS POUR LES CFA PRIVÉS, MOYENS OU MIXTES

En revanche, France compétences procède à des comparaisons de ces taux de marge. "Le taux de marge au sens économique peut être comparé avec le taux de marge observé dans les autres secteurs, mais uniquement pour l’année 2021 car les données de l’Insee sont publiées tardivement, prévient Marc-Antoine Estrade. Alors qu’on constatait en 2020 que le taux de marge des CFA était plus élevé que le reste du secteur marchand de l’enseignement, c’est l’inverse en 2021. La hausse du taux marge de l’ensemble du secteur marchand de l’enseignement a été beaucoup plus élevée que dans l’apprentissage."

Des différences s’observent également lorsque le taux de marge au sens des NPEC est comparé d’un CFA à l’autre. "Ce que nous avions déjà constaté en 2021 et qui se vérifie en 2022, c’est que les taux de marge peuvent très fortement différer selon le profil des CFA, détaille Marc-Antoine Estrade. Les taux de marge les plus élevés correspondent aux CFA privés, aux CFA de taille moyenne et aux CFA qui ont une activité mixte. Nous avions réalisé des travaux qualitatifs qui montraient qu’une activité mixte permettait de réguler les coûts. Pour les autres facteurs, nous avons seulement des pistes à ce stade. Les CFA privés sont notamment plus souvent dans le secteur des services et dans le supérieur que les autres et ont donc moins de plateaux techniques."

D’autres pistes pourraient émerger courant 2024. "Nous sommes en train de réaliser une enquête plus qualitative sur le fonctionnement des CFA, rapporte Marc-Antoine Estrade. Elle nous permettra notamment d’avoir une analyse plus approfondie sur leurs modèles économiques et donc aussi sur leurs taux de marge. Les résultats sont attendus pour avril-mai."